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De Photoshop à Google :: par Erik Adigard/M-A-D :: pour etapes magazine #119

Dans la speculation qui suit, je propose l’autopsie d’un certain design, ou peut-être s’agit-il d’un certain designer.

En 1987, étudiant à CCAC j’avais posée cette question à l’un de mes profs les plus réputés:

Quelle est votre theorie sur le design?

Et il me repond “si un mille-pattes se pose cette question, je te guarantie, il s’emmelle les pédales et s’écroule vite”. Tout de suite je m’était dit que moi je ne n’était pas un milles pattes. Et puis il m’a toujours semblé que pratique et théorie ne pouvait pas ètre séparés dans le monde du design contemporain.

Le problème est que effectivement, il très difficile de pratiquer les deux en même temps. Et si enfin, nous avions accés à des outils qui puissent combiner les deux?…

Ce Qu’On Sait Sans Comprendre:

L’outil suit la forme suit la fonction qui parfois suit le concept. Le concept c’est l’ordre (ou le desordre) des choses. Des choses dont la réalité ne nous apparait souvent qu’après une longue latence. Le concept peut ètre de naturel philosophique ou spirituel, tel une aspiration utopique qui voudrait améliorer, expliquer ou révéler notre existence. Mais il peut aussi ètre un mechanisme qui aliène nos capacité de perception.

Et si pour tout compliquer, il lui arrivait de n’ètre autre que l’outil, celui même qui permis au concept d’ètre. Effectivement, les nouveaux outils précèdent souvent des utopies qui leur corespondent. Comme on le sait les utopies ne durent jamais, et c’est peut-ètre car les outils n’arrètent pas de se réinventer.

L’outil, je dirais que c’est un objet dur pour faconner un objet moins dur. C’est le silex sur le calcaire, le crayon sur le papier ou des 0s et 1s sur la lumière. Il existe donc entre les mains du créateur; entre lui et sa creation

On a toujours utilisé le dur pour former le mou, mais l’histoire de cette relation n’a jamais été aussi dramatique qu’à notre époque et elle est en passe de changer

Le premier chapitre de ce drame débuta en 1984 avec Macintosh, et puis avec:
1984 Adobe PostScript
1984 HP LaserJet
1985 PageMaker
1985 Fontographer
1985 Apple LaserWriter
DESIGN DIGITAL (en temps réel)
1987 VGA 640x480 256 couleurs
1987 Apple True Type
DECONSTRUCTION GRAPHIQUE (graphisme dynamique)
1989 world wide web 
1989 Adobe Type Manager
1989 MacroMind Director
1990 Adobe Photoshop
1990 appareil photo digital DYCAM
1991 Adobe PDF
1991 HTML
MULTIMEDIA (image dynamique)
1993 engin de recherche Lycos
1993 premiers weblogs
WEB (édition dynamique)
1996 Macromedia Flash
FONTISM(typographie personalisée)
1999 engin de recherche d’images AltaVista
1999 Blogger
2000 mobile/appareil photo Sharp 

De PageMaker à HTML l’apparition de nouveaux outils a forcés les pratiques de la typo, la photo, le montage, etc au sein d’un nouveau graphisme pluridisciplinaire, rapide et efficace. Le processus créatif devenait de plus en plus méchanisé, automatisés et complexe.

Le créateur avait toujours le controle de son outil, mais celui-ci n’était plus qu’une palette d’icones (essentiellement “dures” de code). Et notre relation physique avec la création était celle que nous entretenions avec notre Mac-outil qui lui restait bien materiel dans ses formes, textures et couleurs. Et puis les icones n’ont pas tardé à prendre la forme des boites comme l’a exemplifié Windows et ensuite OSX en 2000.

En 2000, le monde regorgeait d’images mais le design restait une affaire de forme. En réalité, l’influence de la forme digitale faiblissait dans la même mesure que l’économie dotcom, mais un nouveau design dit “d’intelligence” était en pleine emergence.

Ce Qu’On Sait…

2001 Convergence du mobile et du PDA
2001 Google compte plus de 1.3 milliard de pages web
2004 8 milliard de pages sur l’index Google
2005 1 milliard d’images sur l’index Google

PREVISION: Dans les prochains trois ans, le monde produira plus de données qu’il ne le fit durant les derniers 10000 ans.

AXIOME #1: OUTIL=SYNTHESE

La forme suit l’intelligence. Dés 2001, les outils fondamentaux du graphisme ne sont plus Photoshop, Flash ou AutoCAD, mais ce sont les engins de recherche que l’on utilise pour informer notre processus. Dans ce sense, l’acte de création et son produit deviennent des notions d’information pure et non plus graphiques. Ces outils ne sont plus l’extension de nos mains et ce que nous concevons est de moins en moins visible à l’oeil nu, car ce que nous produisons ce sont des concepts. Les formes, elles, suivent comme le resultat d’équations, de statistiques et projections.

Après avoir dépassé un infini de clicks derrière lesquels existe un autre infini de choses: ebay + findster + flickr + blogger + amazon + bbc + napster + itunes + ipod my photo + freitag + un nouveau site toutes les quatre secondes on finit par dériver dans des méga courants d’expressions qui sont produites, consomées et regénérées spontanément. Similairement, le monde du design et l’acte de design sont un blob de reseaux migrateurs et temporaires, et nos outils sont les vehicules pour cette nouvelle urbanité: ils sonts rapides, modulaires, fluides et collaboratifs. Plutot qu’ètre maitrisés en tant qu’instruments de crèation, ils sont faits pour ètre recombinés dans des sortes d’outils-systèmes qui souvent générent indirectement les créations que nous signons.

De ce point de vue, le graphisme est sur les traces de la musique post-synthetiseur. Elle c’est d’abord libérée du son acoustique, pour devenir digitale (Kenneth Newby dans les années 80) et ensuite de la composition traditionelle grace au sampling. L’ultime composition contemporaine pourrait etre de Merzbow: le son d’un ouragan de signaux synthétiques suffisement nombreux pour qu’aucun d’eux ne soit audible.

L’outil de design le plus important aujourd’hui et donc celui qui nous permet de reconnaitre les signaux au millieux du bruit, et ce pourrait bien ètre Google, qui en tant que synthétiseur des gouts, désirs, opinions et fantasmes du publique, s’ajoute aux blogues, photoblogues et autres feeds: acronymfinder + getty images + mappr + iconfactory + advertising slogan generator + fontmonster + milles autres outils pour nous inspirer, nous assister et pour nous guider au milieu d’un tsunami de créations de toutes sortes—une notion qui est bien évoquée dans l’exposition de Bruce Mau “Massive Change”. A un niveau formel cette tendance d’un hyper globalsime était apparente il y a déjà quinze ans dans le travail de Designers Republic et biensur aujourd’hui chez Ruedi Baur et beaucoup d’autres graphistes europeens.

Notre outil de design donc est un outil de recherche, surveillance et sampling en temps réel, dont l’expression finale ne peut étre qu’une forme de synthèse.

AXIOME #2: DESIGN=TRANSCENDENCE

Nous avons perdu le temps d’incubation créatrice et en échange avons hérité d’un processus collaboratif hyper dynamisé— si ce n’est parfois hyper débilitant. Aujourd’hui le design est reconnu comme étant suffisement important et necessaire pour ètre subordonné aux gens d’affaires, de technologie, d’art et de sciences autant qu’aux designers—et non seulement ceux-la mais aussi aux masses pour qui il office!! (le site edgemodern.com est redessine en open source: par son audience) Bref, le design a transcendé le design pour devenir le seul et vrai reflet d’une société hystérique. On saura les avantages et les couts de ce design à la fois calculateur et populiste dans peu d’années.

Avec la recherche sur internet l’acte de design se détache de l’ordre plastique et devient une composition basée sur des structures de critères et references culturelles, commerciales ou économiques. Ces critères deviennent des sortes de commandes d’outre web (et outre économie) qui dictent de façon spontanée les expressions dont le monde croit qu’il a besoin aujourd’hui.

Le design c’est “endurci” et c’est tout simplement adapté à un nouveau monde qui se définit moins par ses structures physiques et plus par ses valeurs et ses pouvoirs. Etre designer dans le monde moderne, c’est accepter que, malgré l’énorme controle que nous avons sur nos outils, notre position créatrice est terriblement précaire car elle doit s’adapter à des pratiques collaboratives instables et doit se référer à une culture et une économie interdépendante. C’est un phénomène examplifié par des architectes tels que OMA, Jean Nouvel et Toyo Ito (des architectes “durs”), mais il est moins significatif dans le monde du graphisme bienque cette nouvelle pratique et maintemant généralisée.

Etre designer est avant tout une position de responsabilité pour son epoque et son environment—et cela dans un temps/espace informatique qui est sans doute  transparent mais certainement irresponsable.

Les traditions, fonctions et raisons d’ètre du design sont en jeu.

Elles sont remplacé par un “superdesign” (pour un supermodernisme) qui est la fibre même de notre époque. Il ne cherche pas à transformer l’apparence des choses et il ne s’en soucie guère car la trans-formation suit!

Ce Qu’On Sait Aussi…

L’outil est donc devenu concept et s’est libéré de nos mains pour se retrouver non plus au milieu de l’acte créatif mais autour. Le créateur est maintenant assiégé, ou tout au moins coincé entre l’outil et la forme, entre le dur et le mou. Un dur qui nous envelope et  nous transporte. Et un mou dur à sa façon, mais amorphe et universel, tel un nuage à peine visible mais qui prendra peut-ètre la forme d’une utopie s’il ne disparait pas avant.

Justement, on ne sait plus voir. On a développé une faculté exceptionnelle pour voir un milliard d’images, mais nous ne savons toujours pas voir differement (malgé la campagne Apple "Think different"). On dirait que cette lumière digitale qui nous guide vers l’avenir nous a aveuglé. Il faudrait que ce soit une utopie du regard—d’un “super regard”.

Car chaque génération d’outils devrait nous permettre une nouvelle utopie.

Erik Adigard // 11 AVR 05

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